Le paradoxe du masochisme. Sylvie Theis, psychologue montauban

Le paradoxe du masochisme

 

Dans son article de 1924 « Le problème économique du masochisme »[1], Freud décrit trois formes de masochisme : le masochisme érogène, le masochisme moral, le masochisme féminin.

Il lie le masochisme érogène à l’excitation sexuelle, laquelle peut se présenter sous le mode du masochisme tout comme elle survient parallèlement à toute une série de processus internes. Ce masochisme érogène est primaire. Son origine proviendrait de cette coexcitation libidinale qui aurait lieu également dans le processus de la douleur.

Le masochisme moral représente quant à lui schématiquement la norme du comportement dans l’existence.

Quant au masochisme féminin, il le qualifie d’expression de l’être de la femme. Mais du masochisme féminin, il ne nous dit, en fait, que peu de choses, si ce n’est, et cela est essentiel, qu’il repose entièrement sur le masochisme primaire.

 

 

 

Ce que tous les auteurs ont mis en évidence à propos de ce concept, c’est l’antinomie qui le caractérise. En effet, le masochisme se définit comme plaisir pris dans la douleur, comme plaisir pris dans le déplaisir, autrement dit comme satisfaction libidinale qui prendrait germe dans l’autodestruction.

 

 

Qu’est-ce alors que le masochisme ? S’agit-il de plaisir oubien de douleur ?

 

 

Avant cet article consacré au masochisme, Freud dissociait le plaisir et la douleur. C’est avec la deuxième topique et l’introduction des notions de pulsion de vie et de mort que Freud imagine que la quantité d’excitation serait un facteur quantitatif auquel se rattacheraient le plaisir et le déplaisir ;  le déplaisir dans un accroissement de ce quantum d’excitation, le plaisir qui se réaliserait par sa diminution.

Lorsqu’en 1924 il introduit le masochisme érogène, ce qui heurte sa réflexion semble être que le masochisme érogène soulève le problème de l’autodestructivité.

Ainsi, la dimension économique du principe de plaisir qui aurait pour but d’éviter le déplaisir et de procurer le plaisir est remise en cause par l’introduction même du masochisme. En conséquence, celui-ci signe un changement fondamental dans la compréhension du plaisir et du déplaisir et abroge ainsi la conception que la douleur et le plaisir soient totalement déterminés par la quantité d’excitation.

 

 

Dans d’autres écrits, Freud fait remarquer à quel point le facteur quantitatif est insuffisant et propose de le compléter par le facteur qualitatif. Enfin, il souligne la complexité du système.

 

 

 

Rosenberg, dans son étude sur le masochisme : « Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie »[2] approfondit cette question en s’appuyant sur les idées de Freud. Il attribue au masochisme érogène une fonction spécifique de modèle nous permettant de comprendre que « certaines augmentations de la tension d’excitation, qui sont effectivement de l’ordre de la douleur ou du déplaisir, peuvent être vécues comme un plaisir ».[3]

 

 

 

Cette prise en considération du masochisme érogène entraîne par un recentrage de l’origine plaisir-déplaisir un changement de caractère du principe de plaisir.

Rosenberg poursuit sa réflexion en montrant que Freud présente le principe de plaisir comme une modification d’un autre principe, le principe de Nirvâna : principe originaire selon Freud dont le but est de tendre vers la stabilité de l’état inorganique (donc au service des pulsions de destruction), le principe de Nirvâna a subi une véritable transmutation, un remodelage forcé lui permettant de contrôler également les processus vitaux.

 

 

Et Rosenberg en déduit que « le principe de plaisir est donc une modification apportée au principe de Nirvâna, modification que la libido apporte ou impose à la loi de fonctionnement (principe de Nirvâna) de la pulsion de mort »[4], et introduit le concept d’intrication pulsionnelle, corrélativement à cette modification, c’est-à-dire, la liaison de la pulsion de mort par la libido. L’équivalent allemand du terme « intrication pulsionnelle » est  « mischung » qui signifie mélange et qui contrairement à « intrication » suggère que ce mélange peut se produire dans de proportions variables.

Le principe de plaisir n’est donc plus aussi absolu. Il comporte des variations et des changements.

Rosenberg nous montre l’importance de cette mutabilité du principe de plaisir dans la vie de l’individu. Elle se retrouve dans le travail entre le patient et l’analyste : « Cette relativisation du principe de plaisir selon les individus, les moments et les situations donne une base et un but à la cure analytique : on peut dire que nous visons, entre autres, un changement dans la définition qualitative du principe de plaisir de nos patients, leur revendication du plaisir, l’urgence de la satisfaction…. »[5].

 

 

 

L’idée tout à fait judicieuse de Rosenberg est alors de mettre en parallèle le masochisme primaire érogène et le principe de plaisir et de proposer ainsi qu’ils représentent « les deux visages, les deux aspects d’un même moment psychique », le moment formateur de la première structuration du moi archaïque. Il s’agit d’un moment fondamental pour la vie. Masochisme érogène et principe de plaisir sont donc contemporains.

 

 

Une nouvelle formulation de la définition du plaisir apparaît à Rosenberg en conséquence sous cet éclairage.

Le plaisir serait alors « une combinaison de plaisir et de déplaisir qui abrite en son sein une dose variable mais inévitable de masochisme »[6]. Plus concisément « le plaisir est un plaisir-déplaisir ».

Rosenberg lève ainsi le paradoxe du masochisme en expliquant combien le plaisir est un processus complexe.

Une autorégulation entre l’excitation et la décharge assure le phénomène de plaisir : l’excitation (aspect déplaisir) ne disparaissant pas dans la décharge (aspect plaisir), elle peut à nouveau imprimer la décharge.

 

 

 

Sylvie Theis

 

 

 

[1] Freud. S. (1924) Le problème économique du masochisme, in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1990, p290. 

[2]Rosenberg, B., (1991) Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie, in Monographies de la RFP, Paris, PUF.

[3] Ibid., p60.

[4] Ibid., p61.

[5] Ibid., p62.

[6] Ibid., p63.

 

Photo Nat Von Sky

 

Sylvie Theis, Psychologue Psychothérapeute Montauban, 21 rue de la Comédie 82000 Montauban. Contactez-moi au 07 77 22 40 73.

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